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    Le Carré d'Art et son réseau

    Orientations et spécificités

    Par Benoît Lecoq

    (1) Fort de 38 000 lecteurs inscrits et d'un volume de prêts avoisinant le million, le réseau de la bibliothèque municipale de Nîmes, dopé par l'ouverture du Carré d'art en 1993, présente à bien des égards une physionomie singulière.

    C'est d'abord le caractère manifestement déséquilibré de ce réseau qui retient l'attention : une puissante centrale, Carré d'art Bibliothèque, symboliquement située face à la Maison carrée, vitrine des innovations et de la politique culturelle de l'établissement, lieu de loisirs autant que de culture, perçu comme tel par les Nîmois mais aussi par tous les autres usagers (public - nombreux - des communes avoisinantes, public touristique, etc.) ; à l'ouest de la ville, au centre d'une zone sensible, un équipement bien implanté et qui a su trouver son public, mais un équipement vieillissant, dont les 850 m2peinent à accueillir des usagers toujours plus nombreux et freinent l'ambition des manifestations culturelles ; à l'est, dans un quartier difficile et replié sur lui-même, un point annexe nettement insuffisant, d'une superficie de 200 m2, implanté dans les locaux d'un centre socioculturel, souffrant d'un manque manifeste de visibilité et d'une difficulté à rayonner. Un médiabus et une antenne gérée en partenariat avec le CHU complètent ce dispositif.

    Un autre aspect singulier de cet ensemble tient à son fonctionnement en réseau. Celui-ci s'exprime à travers la conduite des acquisitions, qui, si elles sont centralisées, sont définies avec la participation active de tous les secteurs de la bibliothèque. Pour le public, ce fonctionnement est surtout visible par la possibilité qui lui est donnée d'emprunter un document à un point du réseau et de le rendre à un autre. Il faut bien constater toutefois que le cloisonnement architectural des secteurs au sein du Carré d'art ainsi qu'un organigramme essentiellement vertical, hérité d'une longue histoire, viennent parfois contrarier les ambitions d'un réseau par ailleurs presque unanimement célébré.

    En ce qui concerne le Carré d'art, la singularité tient bien entendu à la coexistence au sein d'un même bâtiment d'un musée d'art contemporain et d'une médiathèque, sans oublier d'autres équipements complémentaires : un centre de documentation régional d'art contemporain, une salle de conférence de 200 places, une librairie et un café-restaurant. S'il est vrai que, jusqu'à présent, rares et limitées ont été les collaborations entre le musée et la bibliothèque et que, à l'instar de Beaubourg, les positions mètre carré contre mètre carré ont souvent prévalu, on verra que cette cohabitation a aussi des retentissements favorables sur la politique documentaire et culturelle de l'établissement.

    Ainsi, confrontée à des lacunes mais sachant jouer de ses points forts, la bibliothèque municipale de Nîmes s'est considérablement développée depuis 1993, jusqu'à attirer près d'un tiers d'une population de 138 000 habitants. La gratuité totale, instaurée par la ville de Nîmes en 1995, entre pour une part dans ce dynamisme. Mais pas seulement. Ont également joué leurs rôles le renouvellement d'une offre documentaire abondante, favorisée par des budgets à la hausse ces dernières années, ainsi que la mise en oeuvre d'une programmation culturelle riche et attractive.

    Le difficile contexte financier auquel se heurte la ville a rendu impossible, jusqu'à présent, l'achèvement du réseau et sa rénovation. C'est cette situation bloquée qui a conduit la bibliothèque à privilégier comme axes de développement un travail de fond sur la politique documentaire et culturelle, une politique volontariste en direction des publics spécifiques ainsi que la prise en compte de la dimension multimédia. En un mot : le développement des services.

    Constituer les collections : un acte primordial

    La réflexion sur la politique documentaire adultes a débuté en 1995. Passé les premiers mois d'adaptation au nouvel établissement, aux nouveaux outils, à l'arrivée massive de nouveaux usagers, est venue l'heure des bilans.

    Constituées au cours des trois années qui ont précédé l'ouverture du Carré d'art, les collections avaient été abondées par de nouvelles acquisitions, mais surtout par le retraitement pour le libre accès de collections existantes, les budgets documentaires étant restés jus-qu'en 1996 relativement restreints. Il était donc nécessaire d'évaluer ce fonds et de le faire évoluer vers une adéquation plus pertinente par rapport aux attentes du public. Et ce pour quel lecteur hypothétique, irréel, polymorphe ?

    De façon pragmatique, par leur contact quotidien avec les usagers aux postes d'information et d'orientation, les bibliothécaires commençaient à cerner les insuffisances de l'offre, les pratiques et les besoins d'un public qui bien souvent, jusque-là, n'avait pas fréquenté de bibliothèque. Les difficultés sociales de l'environnement local transparaissaient aussi dans la fréquentation de l'établissement.

    Les réunions d'acquisition furent l'occasion d'aborder les choix en termes de besoins et de niveaux d'accès. On ne considérait plus le document dans sa seule individualité (intéressant ou non), mais comme partie d'un vaste ensemble nécessitant des équilibres.

    À partir de 1996, le travail s'est structuré autour de la mise en place d'un plan de désherbage et de l'évaluation d'un secteur documentaire test (sciences sociales) mettant en évidence l'âge des documents, les points de vue traités, le niveau d'accès, l'état matériel... Les conclusions de l'étude donnèrent lieu à un document sommaire, définissant les priorités d'une politique d'acquisition annuelle.

    Aujourd'hui, un plan de développement des collections est élaboré pour deux ans. Le document aborde d'abord la spécificité de la bibliothèque adultes du Carré d'art (bibliothèque encyclopédique et bibliothèque ressource pour l'ensemble du réseau nîmois) et ses missions (culture, information, formation, insertion sociale, loisirs). Pour chaque classe Dewey, une grille détaillée est établie, précisant par indice les sujets à acquérir, les niveaux, le volume d'acquisitions souhaité. Un bilan des acquisitions réalisées précède la préparation d'un nouveau document. Le travail est réparti entre onze sélecteurs disciplinaires, un coordinateur assurant le suivi budgétaire global, la gestion des commandes et des marchés, le maintien des objectifs fixés ainsi que la veille documentaire.

    Cette mise en place progressive d'une réelle politique d'acquisition engendre une organisation du travail particulière : les sélecteurs indexent les nouvelles acquisitions, assurent en partie le reclassement quotidien de leur secteur documentaire, désherbent. De même, ils assurent les permanences aux postes d'information, rôle essentiel qui exige une connaissance d'ensemble du fonds et de son classement.

    En 2001, un document simplifié de synthèse de la politique d'acquisition 2001-2002 devrait être mis à la disposition du public. Par ailleurs se met en place un système de cotes validées, avec pour objectif une meilleure lisibilité de l'organisation des collections. Cette liste d'autorité de cotes sera ensuite utilisée dans les grilles du plan de développement des collections, autorisant une évaluation affinée de la politique d'acquisition.

    La bibliothèque et les arts

    Si les fonds de la bibliothèque du Carré d'art sont par nature encyclopédiques, une place privilégiée est naturellement réservée au domaine artistique et à l'art contemporain en particulier. La situation diffère selon les secteurs. Pour la bibliothèque des adultes, il est nécessaire de tenir compte de la présence du Centre de documentation régional d'art contemporain et de ses acquisitions. La tâche d'harmonisation est toutefois facilitée par la spécificité muséale d'une documentation qui n'est proposée qu'en consultation sur place. La bibliothèque des enfants propose, elle aussi, une offre documentaire abondante en ce domaine et s'efforce d'en prolonger la vocation pédagogique par des rencontres avec des artistes contemporains (Claude Viallat est à deux pas...).

    Le secteur vidéo ouvre une large part de sa programmation aux arts et spectacles, en diffusant régulièrement des films consacrés à des artistes ou à des courants artistiques, sans oublier les arts dits vivants (théâtre, danse, etc.). Sa participation au Mois du documentaire de l'année 2000 s'est attachée, sous le titre générique "Regards sur l'art », à exploiter trois thématiques : filmer l'art : artistes et histoire contemporaine ; art et cinéma expérimental. Le fonds de supports DVD que constitue actuellement la bibliothèque tiendra compte de cette orientation.

    Fidèle à son nom. Carré d'art Bibliothèque développe aussi une importante collection de bibliophilie contemporaine et de » livres d'artistes qui donne à la politique d'enrichissement du secteur patrimonial une inflexion et un dynamisme singuliers. Ici, il est clair que le prestige de Carré d'art Musée retentit bénéfiquement sur la médiathèque qui, plus que d'autres, a des facilités pour accueillir, par exemple à l'occasion d'expositions, des artistes de renom et le cas échéant pour recueillir en don leurs collections.

    C'est ce constat qui a conduit la bibliothèque à consacrer chaque année sa grande exposition d'été à un artiste oeuvrant de façon significative dans le domaine de la bibliophilie contemporaine (Gervais Jassaud en 1998, Anne Slacik en 2000, Jacques Clauzel en 2001, etc.). C'est aussi ce qui l'a décidée à organiser les 16 et 17 juin prochains, sous le titre Carré livres d'art(istes) », une rencontre autour d'une quarantaine de créateurs qui sera le premier salon de ce genre en Languedoc-Roussillon. Bien entendu, ces diverses manifestations sont enrichies par des rencontres avec des auteurs, notamment ceux qui accordent une attention particulière à l'art contemporain (ainsi la venue de Christian Prigent, en collaboration avec les éditions Cadex, en juin prochain). Art et poésie se rejoignent ici, dans un intérêt croisé qui conduit à accorder une attention vigilante à la production de la petite » et moyenne édition.

    Il va de soi que cette orientation n'est pas exclusive, pour le secteur patrimonial, de ses autres centres d'intérêt. Avec plus de 55 000 volumes anciens, rares ou précieux (dont 10 000 ont été jugés dignes de rejoindre la réserve), et quelque 900 manuscrits, Carré d'art Bibliothèque continue d'enrichir les fonds constitutifs de l'identité nîmoise : religions, romanité, tauromachie, et le vaste et composite ensemble qui ressortit au fonds local

    Vers les publics spécifiques

    Cet attachement aux missions traditionnelles des grands établissements n'a rien d'antagoniste avec le souci de développer la desserte des publics dits spécifiques, quels qu'ils soient. Un seul exemple : un médiateur du patrimoine n'est-il pas chargé, depuis plus de deux ans, de mettre à la portée du plus grand nombre, et au premier chef des enfants des écoles, nos richesses patrimoniales ?

    Coordonnée par un conservateur, la desserte des publics spécifiques a fait l'objet d'une réflexion globale qui a débouché sur un faisceau d'actions. En premier lieu, les liens avec la maison d'arrêt ont été renforcés et ont fait l'objet, avec le soutien de la CLLR (l'agence de coopération), d'une convention qui précise notamment les missions des deux principaux partenaires. La bibliothèque ne se limite pas au rôle de pourvoyeuse d'ouvrages, elle instaure par le biais de médiateurs un véritable échange culturel avec les détenus, tout en s'appuyant sur une politique d'animation qui passe par la venue d'auteurs et de lecteurs. Dans le même esprit a été mis en place un portage de livres auprès des maisons de retraite, travail que couronne chaque année la remise du « prix des grands lecteurs » à l'occasion du Salon de la biographie.

    Très originale, l'antenne de Sene-Cavalier, gérée en partenariat avec le CHU, a ouvert en 2000. En rénovant ce centre de gériatrie, la volonté du CHU était de l'ouvrir sur le quartier environnant, d'en faire un centre à la fois de soins et de loisirs. Le centre se décline en petites unités résidentielles, dont la capacité d'accueil est de 600 lits. Il est bordé d'un remarquable arboretum qui prend place au sein d'un parc de deux hectares. À l'intérieur du centre, une allée dessert les principales fonctions de loisirs : un restaurant, un kiosque, un coiffeur et... une bibliothèque ouverte non seulement aux personnes âgées et au personnel hospitalier, mais à tous publics.

    Une convention entre la ville et le CHU spécifie les modalités de fonctionnement. À la charge de la bibliothèque municipale, la création et l'alimentation du fonds (4 000 documents aujourd'hui), la formation du personnel et l'aide au fonctionnement, la programmation des animations (le bâtiment dispose d'un espace d'exposition et d'une salle de conférence). À la charge du CHU, les infrastructures : administration du personnel, équipement informatique et mobilier, entretien et maintenance. Après un an de fonctionnement, le bilan se révèle dans l'ensemble très positif et la fréquentation s'accroît.

    Sans doute n'est-il pas excessif de ranger le Centre de ressources sur la lecture et la littérature de jeunesse, créé en 1996 et financé dans le cadre d'un contrat de ville, parmi les outils mis au service de publics spécifiques. Géographiquement situé à l'annexe des quartiers ouest, il fonctionne en fait de façon transversale à l'ensemble de la bibliothèque.

    Offrant des collections représentatives de la littérature de jeunesse, des fonds spécialisés et un service de documentation et d'orientation, il a un rôle multiple : diffuser auprès des collectivités dépôts de livres à l'année, mallettes thématiques, supports d'animations, expositions ; organiser ou co-organiser des manifestations (rencontres, conférences, débats, venues de spectacles, animations diverses) tant auprès de ses partenaires qu'à l'intérieur du réseau de la bibliothèque municipale ; nouer un réseau de compétences autour de projets, le dernier en date étant de promouvoir la prise en compte de la petite enfance. Carrefour d'information, de formation et d'activités concernant le livre et la littérature de jeunesse, la lecture, la maîtrise de la langue et, plus largement, l'éveil culturel de l'enfant, il est un lieu ouvert sur la ville, le département, la Région, en direction des professionnels (enseignants, éducateurs, bibliothécaires, animateurs) et d'un public plus large (parents, associations).

    Un Espace culture multimédia

    C'est non plus en direction d'un public spécifique, mais bien pour élargir le public naturel de la médiathèque, qu'a été prise la décision de développer les collections multimédias et les nouvelles technologies, et ce en dépit d'un sous-développement informatique généralisé. La bibliothèque a donc répondu à l'appel à projets Espace culture cultimédia (ECM) proposé par le ministère de la Culture : destiné à démocratiser les apprentissages du multimédia, à favoriser les lieux d'innovation et de création, ce programme, concrétisé par un label, des subventions ainsi qu'un réseau de lieux et de ressources, existe depuis 1998.

    À Nîmes, depuis février 2000, sept postes publics permettent l'accès à internet et à des cédéroms. Le choix des logiciels de gestion des cédéroms en réseau et de la sécurisation des postes s'est porté sur les produits Archimed. Réparties entre le secteur adultes et le secteur jeunesse, les stations sont implantées à proximité des collections de cédéroms en prêt, pour un fonds en cours de constitution en secteur adultes (500 titres en prêt) et prochainement accessible en secteur jeunesse (150 titres prévus à l'ouverture). Préfigurant un futur système d'information, ces postes offrent aussi des pages de présentation du réseau, des dossiers sur les expositions et le catalogue des bibliothèques nîmoises. Comme on pouvait s'y attendre, les postes sont pris d'assaut. La réservation préalable est obligatoire, à raison d'une heure par semaine et par usager.

    Cybercafé ? Non, pour les raisons suivantes : une représentation conforme de la diversité des âges qui constituent le public d'une médiathèque, depuis le grand bébé de 2 ou 3 ans jus-qu'aux « grands lecteurs », la gratuité du lieu, son ouverture sur une structure elle-même ouverte, la diversité de l'offre. Service de recherche documentaire ? Non plus, contrairement à la situation qui prévaut en bibliothèque universitaire. Au Carré d'art, la recherche documentaire est assurée, sous le nom de Doc-Info, par un service spécifique.

    C'était donc une gageure que de proposer une autre façon d'utiliser internet et le multimédia, en lien avec les activités culturelles de la ville et des différents services de la médiathèque. Cette ambition passe par trois exigences : la polyvalence de l'équipe d'accueil ; une politique d'animation fidèle aux temps forts de la médiathèque et de la ville, mais aussi porteuse de projets autonomes ; la volonté de créer, parallèlement à l'espace de consultation, un atelier de création qui pourrait rejoindre la vocation artistique du bâtiment.

    À Nîmes, comme assez souvent ailleurs, la difficulté à tenir ce cap s'est cristallisée autour de la question du « chat : interdire ou non ? D'un côté des animateurs du service parfois excédés par l'impression de squat des places, le samedi en particulier, pour un degré d'intervention qualifié d'inintéressant voire de nul. De l'autre ceux qui objectent qu'il y a là une compétence particulière et la possibilité, moyennant un certain volontarisme, de transférer cette compétence vers d'autres secteurs ou intérêts de l'internet dit culturel.

    Le tour d'horizon que l'on vient de proposer n'a, on le devine, rien d'exhaustif. Il ne tient pas compte en particulier des nombreux projets qui mûrissent dans les cartons des uns et des autres, et ne vise au fond qu'à mettre en valeur les domaines où la bibliothèque prétend, sinon exceller, du moins donner le meilleur d'elle même.

    1. Cet article a été coordonné par Benoît Lecoq. Il rassemble des contributions de : Gisèle Auger (vidéo), Evelyne Btet (patrimoine), Sophie Courcoul (nouvelles technologies), Claudine Hervouët (jeunesse), Marie-José Latour (secteur socio-culturel), Benoît Lecoq (direction) et Christine Raynaud (adultes). retour au texte