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    La BDP de l'Hérault

    Pour une bibliothéconomie solidaire

    Par Jean-Michel Paris

    Une des premières BCP

    La BDP de l'Hérault fait partie des premières vagues de création des BCP dans l'immédiat après-guerre, puisqu'elle date de 1946. C'est peu dire qu'elle est riche de cette longue histoire. Elle est néanmoins engagée aujourd'hui dans un vaste chantier de rénovation de ses moyens (projet de reconstruction de la centrale sur Montpellier-la Paillade, rénovation des collections, rénovation des outils de desserte : bibliobus et navettes, etc.) et d'adaptation de son réseau aux exigences de la bibliothéconomie contemporaine, tout autant qu'à celles de la modernité des cadres administratifs et territoriaux.

    La BDP de l'Hérault conjugue avec l'ensemble des bibliothèques publiques cette mission de massification du lectorat qui est le noyau dur de la démocratisation culturelle. Il existe néanmoins un deuxième objectif, spécifique celui-ci aux BDP et sur lequel nous travaillons particulièrement, qui est celui de l'aménagement culturel du territoire. C'est-à-dire celui de l'équité territoriale en matière d'accès à l'information et à la documentation. Son troisième objectif est de proposer des services adéquats pour les publics fragiles et empêchés.

    En effet, je suis convaincu qu'au-delà des nécessaires techniques bibliothéconomiques plus ou moins sophistiquées, les bibliothèques sont et seront pour longtemps encore ces machines à rêves, ces mécaniques pour inventer la vie qu'évoquait Henry Miller lorsqu'il disait : De temps en temps, j'allais passer une soirée à la bibliothèque municipale [et combien de bibliothèques municipales sont filles de la BDP !] pour lire. C'était pour moi prendre un billet pour le paradis. »

    Solidarité avec les personnes

    On peut avoir du public hétérogène et indifférencié du réseau de la BDP de l'Hérault une vision purement statistique : 348 000 habitants desservis par plus de 220 relais municipaux (médiathèques, bibliothèques, points lecture) auxquels la BDP prête autour de 200 000 documents. Ces indicateurs bibliométriques sont certes indispensables pour évaluer notre action et la faire progresser, mais ils sont insuffisants à deux égards.

    Tout d'abord, parce que ce public recèle des spécificités qu'il convient de mieux cerner pour mieux les desservir, en particulier dans un département qui connaît le plus fort solde migratoire positif de l'ensemble des départements (1000 nouveaux arrivants par mois, il y a là une véritable exception démographique héraultaise).

    Cette forte croissance s'exprime dans les aires urbaines (centres et périphéries), mais également dans le rural et dans les espaces intermédiaires. Les nouveaux arrivants souhaitent avoir dans les villages les mêmes services et les mêmes qualités de service qu'ils avaient hier en centre-ville.

    Ensuite, il ne faudrait pas faire l'impasse sur nos responsables de relais (salariés ou bénévoles) qui sont les véritables agents de développement de la lecture publique sur le terrain, et dont il faut constamment animer ou réactiver les connaissances professionnelles mais également l'enthousiasme. Ils constituent pour nous un véritable public.

    Et, même si c'est un paradoxe des BDP que l'acte le plus important de la chaîne du livre - l'acte essentiel du prêt qui ne se déroule bien que dans une relation interpersonnelle - soit confié aux personnes les moins qualifiées (les bibliothécaires professionnels étant naturellement positionnés davantage dans l'organisationnel), il faut rendre hommage à ces bénévoles et salariés du réseau auxquels revient la réussite des échanges, et cela bien souvent dans un esprit enthousiaste voire militant.

    On peut d'ailleurs évoquer leur portrait à travers cette citation d'un texte inédit de Pierre Sansot sur les bibliothèques : "La pratique du prêt de livres suscita mon étonnement, m'inclina à la suspicion. Qu'avaient-ils donc derrière la tête tous ces gens qui vous permettaient d'emprunter des livres à la seule condition de les restituer ? Qu'attendaient-ils de moi ? Ils ne m'ont jamais rien réclamé. J'en ai conclu que l'on peut agir sans arrière-pensée. J'ai repris confiance dans mes semblables. 11 y a également les publics directs de la BDP et nous entrons dans le registre de ce que je nommerais la bibliothéconomie solidaire, à titre d'exemples : la BDP de l'Hérault a une convention avec la maison d'arrêt de Villeneuve-lès-Maguelonne, conduit des actions d'animation avec le service de pédiatrie de l'hôpital Arnaud-de-Villeneuve à Montpellier, travaille avec les éducateurs de l'institut médico-éducatif de Jacou, etc. Il est à cet égard important de noter que pour ces publics en difficulté, si nous avons une démarche volontaire, nous n'avons pas de programmes spécifiques, car nous souhaitons éviter le phénomène de ghetto et les associer aux programmes d'actions génériques de la BDP.

    Un des champs d'activité sensibles dans ce domaine est celui de la prévention de l'illettrisme. Cela s'est formalisé par la mise en place d'un service de médiation lecture jeunesse qui développe deux programmes : l'un d'atelier de lecture, « Le goût de lire ", dans un certain nombre de collèges, en partenariat avec les enseignants et les documentalistes ; l'autre en utilisant le livre comme objet d'éveil avec les très jeunes enfants des consultations de PMI (protection maternelle et infantile), en collaboration avec les services sociaux de la DSD (direction départementale de la solidarité).

    Les services au réseau

    La BDP de l'Hérault poursuit sa mutation d'une structure de desserte en véritable tête de réseau qui propose des services à ses correspondants.

    Le premier de ces services est bien sûr la formation, dont on ne clamera jamais assez l'importance, tant sur le plan de l'acquisition des techniques professionnelles que sur celui de la constitution d'un esprit de réseau. La programmation 2001 est forte de 51 journées de formations initiales et thématiques, ce qui correspondra à un millier de journées stagiaires.

    Dans la panoplie des BDP en matière de services, il y a bien entendu l'animation culturelle, sous forme de tournées de conteurs, de rencontres d'auteurs, de lectures spectacles, d'expositions en prêt (15), de valises thématiques, de forums... Je ne retiendrai qu'un exemple : l'itinéraire dans quatre médiathèques du réseau d'une exposition réalisée par la mission Arts plastiques du conseil général, sur l'oeuvre de Pierre-André Benoit et donc sur le livre d'artiste, accompagnée d'ateliers dans les collèges et de conférences dans les bibliothèques.

    En effet, l'action culturelle en bibliothèque trouve à mes yeux sa légitimité lorsqu'elle contribue à élargir le lectorat et/ou à valoriser les collections. Il m'a paru intéressant d'amener un public de jeunes, dans le cadre de la bibliothèque publique, vers cette forme artistique et singulière du livre qu'est le livre d'artiste.

    Mais les services au réseau sont aussi de nature bibliothéconomique, avec la mise en place des rencontres de secteur qui assurent une présence accrue des bibliothécaires de la BDP sur le terrain.

    Regroupés dans l'équipement d'un bourg-centre à l'activité rayonnante, les bibliothécaires du réseau sont invités, toutes les six semaines, à une rencontre de secteur animée par une bibliothécaire de la BDP qui assure en quelque sorte le service après-vente de la tournée de prêt : réponses aux problèmes techniques rencontrés par les responsables de relais et connaissance des collections.

    Enfin, un processus interne d'acquisition et de traitement rapide des réservations est mis en place avec des circuits de navettes (deux passages par mois sur chaque itinéraire) pour assurer l'acheminement des documents. À la fin de l'année 2001, cinq circuits diffusant chacun sur 35 à 40 relais doivent desservir l'ensemble du réseau, en complément de la mission traditionnelle de prescription assurée par les bibliobus.

    Solidarité avec les territoires

    Afin d'assurer le développement des structures de lecture publique, le réseau de la BDP dispose de mécanismes financiers départementaux qui viennent largement conforter ceux de l'État. L'enveloppe annuelle pour aider aux travaux (construction ou rénovation) ainsi qu'à l'informatisation des bibliothèques et médiathèques du réseau de la BDP est de 4 MF (4,5 MF en 2000). Il faut y ajouter une ligne de 350 000 F sur le budget de la BDP pour l'aménagement en mobilier.

    C'est un effort très significatif pour équiper les communes. Mais, au-delà de ces mesures importantes et nécessaires, la réflexion de la BDP se porte sur les hypothèses de structuration de son réseau autour de bibliothèques intercommunales, en prenant en compte les nouveaux territoires, leurs potentialités et les implications en matière de répartition de compétences.

    Le département de l'Hérault connaît de nombreuses formes d'intercommunalité. Une étude lancée par le département et intitulée "Hérault 2005 » définit des scénarios d'action publique appliqués bien sûr à ces nouvelles réalités.

    En 1992, à la veille de la loi administration territoriale de la République (qui institue les communautés de communes et communautés de villes), le département de l'Hérault comptait près de 180 Sivu, Sivom et autres syndicats intercommunaux, et deux districts : l'un urbain (Montpellier), l'autre rural (Clermontais).

    Si l'on ajoute à ces nombreux établissements publics de coopération intercommunale les douze associations de développement et d'aménagement regroupant la plupart des communes rurales autour de chartes, on obtient un véritable « mille-feuille » administratif.

    L'intercommunalité à fiscalité propre

    De fin 1992 à 2000, on enregistre alors une montée en charge lente mais très régulière des communautés de communes, au rythme de trois à cinq nouvelles par an. Les deux dernières-nées datent de décembre 2000. Parti des hauts cantons », le mouvement de création se répand progressivement vers les territoires de plaine et le périurbain. En janvier 2001, on décompte 28 communautés de communes.

    Le paysage de l'intercommunalité à fiscalité propre évolue aussi vers les communautés d'agglomérations. Six pays sont en émergence dans le département, dont trois s'engagent désormais dans la première étape, le périmètre d'étude : haut Languedoc et vignobles, Larzac/coeur d'Hérault, pic Saint-Loup/haute vallée de l'Hérault. Neuf communautés ont hérité de la compétence de leurs communes membres. Cette compétence création, gestion, maintenance des équipements culturels » concerne encore peu le champ de la lecture publique.

    L'année 2001 permettra à la BDP d'engager une étude sur la territorialisation de son réseau et la définition de plusieurs scénarios chiffrés de développement. Le point de départ de cette réflexion étant de se placer du point de vue du lecteur des zones les moins équipées aujourd'hui avec une volonté de justice territoriale en matière d'accès à l'informatisation documentaire.

    L'hypothèse est d'entourer le lecteur de plusieurs cercles concentriques de moyens matériels et humains (de la bibliothèque de proximité communale à la BDP en passant par la médiathèque de communauté de communes et éventuellement la médiathèque départementale de pays), afin de lui fournir une offre de services se rapprochant au plus près de celle qu'il aurait en milieu urbain ou périurbain.

    D'ailleurs, dans ce dispositif, le dernier des cercles concentriques documentaires auquel il pourrait avoir recours ne serait pas forcément celui de la BDP, mais serait partiellement celui des richesses des grandes bibliothèques et des bibliothèques spécialisées.

    À cet égard, le département de l'Hérault et la ville de Montpellier ont passé une convention de coopération entre la BDP et la Bibliothèque municipale centrale et archives de Montpellier, qui permettra à la BDP d'acheminer dans son réseau, pour satisfaire des demandes individuelles de lecteurs, des documents de la BMCA. Cette coopération doit être mise en application dans le courant de l'année 2001, dès lors que les conditions informatiques nécessaires seront satisfaites.

    Bibliothécaire en BDP : un métier toujours en devenir

    Le bibliothécaire de BDP, comme ses collègues de bibliothèque municipale, mais avec sans doute quelques spécificités, n'échappe pas aux mutations galopantes de son métier. Déjà femme- ou homme-orchestre par nature, technicien de la bibliothéconomie, prescripteur documentaire, manager d'équipe, gestionnaire, elle ou il doit aussi être un VRP convaincant de la lecture publique et circuler inlassablement dans son département tel un moine gyro-vague prêchant la bonne parole de l'espérance de la lecture publique.

    Parvenu à un tel stade de polyvalence (mais l'on sait bien depuis Borges que la circonférence de la bibliothèque n'est nulle part et le centre partout), le bibliothécaire de BDP s'interroge : n'est-il qu'un frêle esquif ballotté dans la tourmente des mouvements de société (et l'on ne dira rien de l'arrivée annoncée fracassante du livre électronique et autre dématérialisation de la bibliothèque) ou bien au contraire est-il une sorte de mutant, un professionnel d'un nouveau type (mais lequel ? angoissante question ontologique) à la proue de sa bibliothèque, véritable sismographe d'une tectonique des plaques culturelle et sociale ?

    Hanté par ces questionnements qui parfois le dépassent, le bibliothécaire de BDP, en lequel sommeille toujours un sage, s'en remet à l'harassant labeur quotidien pour trouver la paix intérieure.