Ce livre est l'adaptation de la première partie d'une thèse de philosophie entreprise sous la direction de F. Dagognet. L'auteur, à la lecture des différents écrits de Gabriel Naudé (16001653), notamment de l'Advis pour dresser une bibliothèque... (1627) et des Considérations politiques sur les coups d'État (1639) met en évidence l'unité de la pensée de Naudé, précurseur d'un nouvel ordre du savoir esquissé dans l'espace intellectuel libéré un moment entre l'épuisement de l'humanisme et l'avènement du cogito cartésien.
Prenant acte de la révolution apportée par l'imprimerie, récusant toute universalité, Naudé propose un nouveau modèle de lecture utilitaire et pratique qui organise en une démarche active et perfectible la multiplication des connaissances et des discours. En cela, il s'oppose à la fois à l'érudition humaniste faite de bibliophilie, de plaisir lectoral et de nostalgie antiquomane, et au projet jésuite, qui tend à organiser la culture par la médiation des directeurs de conscience au service de la révélation.
La bibliothèque universelle et le bibliothécaire sont au centre du projet de Naudé. Entre autres aspects remarquables (ses catalogues, sa démarche bibliographique, le fait qu'elle soit confiée à un technicien mercenaire), la bibliothèque naudéenne fait preuve d'une tolérance complète. Elle accueille tous les ouvrages, sans considération de valeur ou d'orthodoxie car ce sont désormais les lectures qui font la valeur du livre, non une vertu intrinsèque. De plus, elle est ouverte à tous, c'est un service public de la connaissance mis en place par un État libéré des tutelles seigneuriales et ecclésiales. Non sans contradiction d'ailleurs, car si Naudé partage avec les encyclopédistes une forme d'optimisme de la raison, il ne formule pas un programme d'accès à la citoyenneté par l'instruction.
La bibliothèque naudéenne est l'instrument d'une science politique laïcisée, héritée de Machiavel, destinée aux techniciens d'un pouvoir qui s'affirme comme ordre efficace et non comme loi. Naudé est d'ailleurs avant tout un penseur politique.